Ce qu’induit la saisine de la justice internationale Ă  l’encontre d’IsraĂ«l

L’Afrique du Sud a dĂ©posĂ© une requĂȘte auprĂšs de la Cour internationale de Justice, l’organe de l’ONU censĂ© juger les diffĂ©rends entre États. Pretoria entend ainsi dĂ©noncer et prĂ©venir le caractĂšre « gĂ©nocidaire » de l’invasion israĂ©lienne Ă  Gaza.

Antoine Perraud, 31 décembre 2023 à 11h33

PavĂ© dans la mare, pour les dĂ©fenseurs du peuple palestinien, ou pĂ©tard mouillĂ© pour les inconditionnels de l’État d’IsraĂ«l : l’Afrique du Sud a dĂ©posĂ© une requĂȘte introductive d’instance, assortie d’une demande de mesures conservatoires (l’équivalent d’un rĂ©fĂ©rĂ©), devant la Cour internationale de justice (CIJ). Cet organe de l’ONU siĂšge Ă  La Haye et ne doit pas ĂȘtre confondu avec la Cour pĂ©nale internationale (CPI), qui statue Ă©galement dans la capitale des Pays-Bas.

La requĂȘte en question vise donc l’État d’IsraĂ«l et ses possibles manquements Ă  la prĂ©vention du crime de gĂ©nocide, dont apparaissent victimes les Palestiniens coincĂ©s et pilonnĂ©s dans la bande de Gaza. La saisine de la CIJ est affaire dĂ©licate, les compĂ©tences de la cour s’avĂ©rant limitĂ©es du fait de la souverainetĂ© des États, qui ne sont soumis Ă  cette juridiction qu’à partir du moment oĂč ils y ont donnĂ© leur consentement – afin, par exemple, de rĂ©gler un tracĂ© de frontiĂšre, terrestre ou maritime, comme entre le Niger et le Burkina Faso (2013), ou entre le PĂ©rou et le Chili (2014).

La Cour peut Ă©galement ĂȘtre saisie si les États concernĂ©s ont signĂ© une clause facultative de juridiction obligatoire : un tiers seulement des pays siĂ©geant Ă  l’Onu l’ont fait. L’URSS, devenue la Russie, n’a jamais signĂ©. Pas plus que la Chine. La France a retirĂ© sa signature pour Ă©chapper aux condamnations liĂ©es Ă  ses essais nuclĂ©aires dans le Pacifique. Les États-Unis se sont extraits sous la prĂ©sidence de Ronald Reagan, lors du financement des « Contras » au Nicaragua.

Aujourd’hui l’Afrique du Sud, au sujet de la guerre menĂ©e par IsraĂ«l contre le Hamas – devenue guerre contre le peuple palestinien –, a suivi une troisiĂšme voie : saisir la Cour Ă  partir d’un traitĂ© international comportant une clause de juridiction.

C’est le cas de la Convention pour la prĂ©vention et la rĂ©pression du crime de gĂ©nocide, approuvĂ©e Ă  l’unanimitĂ© par l’AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies le 9 dĂ©cembre 1948 – dans le sillage de la destruction des juifs d’Europe. Or le crime de gĂ©nocide, individuel ou collectif, peut et doit ĂȘtre empĂȘchĂ© ou rĂ©primĂ© Ă  partir du moment oĂč se rĂ©vĂšle l’intentionnalitĂ© qui le dĂ©finit. Le dĂ©lit international est en effet constituĂ© lorsque certains actes sont commis « dans l’intention de dĂ©truire en tout ou en partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux ».

Les interprĂ©tations contradictoires ne manquent pas concernant ce texte. En fĂ©vrier 2022, le Kremlin a justifiĂ© son invasion de l’Ukraine en raison des prĂ©tendues menĂ©es gĂ©nocidaires perpĂ©trĂ©es dans le Donbass par le gouvernement de Kyiv. Celui-ci a retournĂ© l’accusation contre son agresseur, ne cessant de documenter un procĂšs qui devrait se tenir Ă  la fin de l’annĂ©e 2024 devant la CIJ.

En attendant, la paralysie du systĂšme international s’est une fois de plus manifestĂ©e au grand jour : la Cour, censĂ©e rendre des dĂ©cisions juridiquement contraignantes sans avoir les moyens de les faire appliquer, a ordonnĂ© Ă  la Russie de mettre fin Ă  son offensive en Ukraine, dĂšs le mois de mars 2022 ; avec le rĂ©sultat que nous savons.

L’opinion publique mondiale se montre toutefois sensible Ă  cette façon de dire le droit. Dans une telle optique, la requĂȘte du 29 dĂ©cembre 2023 portĂ©e par l’Afrique du Sud affirme que « les actes et omissions d’IsraĂ«l revĂȘtent un caractĂšre gĂ©nocidaire dans la mesure oĂč ils s’accompagnent de l’intention spĂ©cifique requise de dĂ©truire les Palestiniens de Gaza en tant que partie du groupe national, racial et ethnique plus large des Palestiniens ».

Comment Israël réagira-t-il ?

Le texte ajoute : « Du fait de son comportement – par le biais de ses organes, agents et d’autres personnes ou entitĂ©s agissant selon ses instructions, sa direction, son contrĂŽle ou son influence – Ă  l’égard des Palestiniens de Gaza, IsraĂ«l manque aux obligations qui lui incombent au titre de la Convention contre le gĂ©nocide. »

Comment IsraĂ«l rĂ©agira-t-il ? Une requĂȘte pour avis consultatif a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© dĂ©posĂ©e cette annĂ©e Ă  la CIJ sur les « consĂ©quences juridiques dĂ©coulant des politiques et pratiques d’IsraĂ«l dans les territoires palestiniens occupĂ©s, y compris JĂ©rusalem-Est ».

Cette saisine des juges de La Haye dĂ©coule d’une rĂ©solution de l’AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies, adoptĂ©e le 30 dĂ©cembre 2022, par 87 États, avec 53 abstentions et 26 votes contre. Les plaidoiries sont prĂ©vues le 17 fĂ©vrier prochain et la procĂ©dure pourrait conduire la Cour internationale de justice Ă  statuer sur la lĂ©galitĂ© de la prĂ©sence israĂ©lienne dans les territoires en question.

La reprĂ©sentation israĂ©lienne Ă  l’ONU s’est opposĂ©e en vain Ă  une telle rĂ©solution qui, selon elle, « diabolise IsraĂ«l et exonĂšre les Palestiniens de toute responsabilitĂ© dans la situation actuelle ». Le dĂ©lĂ©guĂ© israĂ©lien ajoutant que la saisine de l’institution « dĂ©cimerait toute chance de rĂ©conciliation entre IsraĂ«l et les Palestiniens ». Cet argument spĂ©cieux a Ă©tĂ© repris par Washington, Londres, ou Ottawa – mais non par Paris.

DĂ©truire le mur

En 2004, la CIJ avait rendu un avis consultatif clair et net contre le « mur de sĂ©paration » voulu par IsraĂ«l et qui constitue, selon l’institution onusienne, un Ă©lĂ©ment d’opposition au droit du peuple palestinien Ă  disposer de lui-mĂȘme. L’avis recommandait de dĂ©truire le mur, de rembourser les dĂ©gĂąts et d’interdire aux entreprises de poursuivre la construction. L’avis n’a pas Ă©tĂ© suivi d’effet mais IsraĂ«l avait mal supportĂ© une telle mise en Ă©vidence de sa politique systĂ©matique.

Depuis, selon un observateur attentif de la Cour, celle-ci aurait perdu ses juges internationaux les plus sagaces et tranchants (ils sont au nombre de quinze Ă©lus pour neuf ans), remplacĂ©s en majoritĂ© par des diplomates au rencart – experts dans l’art de couper les cheveux en quatre et animĂ©s du dĂ©sir de ne froisser personne.

Cette fois-ci, IsraĂ«l pourrait ne pas s’en tirer par le simple mĂ©pris, en contestant la compĂ©tence de la CIJ, qui rendra publique la procĂ©dure une fois terminĂ©e. Pratiquer la politique de la chaise vide – et donc ne pas se dĂ©fendre sur le terrain de la preuve face Ă  une accusation de gĂ©nocide –, serait une Ă©norme bĂ©vue. Mais le gouvernement NĂ©tanyahou n’en serait pas Ă  sa premiĂšre faute.

Il vient de rejeter « avec dĂ©goĂ»t » les assertions de l’Afrique du Sud par la voix de Lior Haiat, porte-parole du ministĂšre israĂ©lien des affaires Ă©trangĂšres. Celui-ci a qualifiĂ© la requĂȘte devant le tribunal onusien de « diffamation sans fondement lĂ©gal », tout en assurant que son pays « respecte le droit international dans sa guerre contre le Hamas Ă  Gaza ».

Un long et tortueux chemin demeure, pour que la raison du plus fort n’ait plus le premier ni le dernier mot. Et pour que ceux qui nous gouvernent soient eux-mĂȘmes gouvernĂ©s par des lois. NĂ©anmoins, la requĂȘte portĂ©e par Pretoria auprĂšs de la CIJ laissera des traces, qui ne pourront que contrarier ceux qui tablent sur leur effacement